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Seongjae Kim

SK

Doctorant en co-tuelle sous la direction d'Yves-Marie Visetti (EHESS) et Gian Maria Tore (Université du Luxembourg)

Titre de la thèse

Pour un modèle sémiotique et phénoménologique de l’expérience musicale :
étude sur les masterclasses de piano — perspectives croisées entre langage et musique

 

Mots-clés

sémiotique de l’art, phénoménologie du langage, philosophie de la musique, expérience musicale

 

Présentation de la thèse

1.

Une masterclasse de piano est un cours donné par un pianiste réputé aux élèves les plus talentueux. Cet environnement nous inspire, en particulier, dans les trois aspects suivants : 1º l'enseignant et l'élève communiquent à la fois en langue et en musique, 2º les expressions langagières de l’enseignant sont souvent métaphoriques ou synesthésiques (par exemple, « ici est le ciel et la terre », « joue la mélodie avec plus de couleur »), 3º la stratégie pédagogique non-linguistique de l'enseignant se caractérise en α) montrant lui-même la musique en question, β) faisant modifier le mouvement corporel de l’élève (la posture, le doigté, etc.).

Que se passe-t-il dans l'esprit de l'enseignant et de l'élève, par exemple, lorsque l'instruction linguistique de l'enseignant conduit l'élève vers une certaine expression musicale ? Ici, qu’est-ce qui est consommé à travers le langage et la musique? Comment peut-on comprendre cette communication trans-modale ? Pourquoi le pianiste enseigne parfois par des méthodes non-linguistiques ? Ce fait prouve-t-il nécessairement qu’il existe le domaine de l’ineffable dans la musique ? Faut-il ainsi distinguer la langue de la musique ?

L'approche traditionnelle, représentée par l’approche « physico-mathématique » (Rameau 1722:18, Merleau-Ponty 1945) qui consiste à réduire les phénomènes linguistiques et musicaux à des éléments purement analytiques ou mathématiques, peut répondre à ces questions en faisant valoir que la langue et la musique sont deux formes de l'expression humaine clairement distinctes. Émerge de cette « violence du logos » (Molinié 2013, Coquet 2007) un credo bien connu dans la linguistique : la langue seule peut parler d’elle-même (Saussure 1916, Benveniste 1974).

À l’encontre de cette dissociation entre le langage et la musique, nous proposerons une autre description du sens du langage et de la musique. En suivant les lignes de Merleau-Ponty, Peirce et Wittgenstein, nous allons examiner les phénomènes de la perception auditive sous un cadre holistique. À cet égard, nous croyons, métaphoriquement parlant, que la musique peut muser, non seulement sur elle-même, mais également sur la langue. De plus, nous allons continuer de suggérer que les diverses formes de la symbolisation humaine partagent une base fonctionnelle commune à partir de laquelle elles interagissent/s’entremêlent. C'est là où réside la possibilité d'interpréter un environnement d’une masterclasse de piano comme un événement dynamique dans lequel nous rencontrons une synergie parmi les différentes formes d’expression.

2.

Non seulement on fredonne lorsqu’on joue du piano, mais on joue aussi du piano tout en fredonnant : il s’agit d’une expérience réciproque et transactionnelle. Par conséquent, l'enseignant dans une masterclasse demande souvent à ses élèves d'essayer de fredonner la mélodie avant de la jouer sur le piano. De la même manière, non seulement nous déplaçons notre corps tout en jouant du piano, mais, encore une fois, nous jouons du piano tout en déplaçant notre corps. L’enseignant corrige ainsi les mouvements corporels ou les numérotations des doigts de son élève (par exemple, « utilise plus le torse », « ne change pas les doigts ici ; utilise le même doigt pour qu'il puisse chanter »). Ces deux exemples révèlent l'aspect pré-réfléchi de la perception auditive, à savoir la qualité de sensation (Peirce CP 7.530), ou le son ressenti (Petitmengin et al., 2009).

Il est important de noter ici que c’est l’échec de la pédagogie réfléchissante qui a introduit la nécessité de la pédagogie pré-réfléchissante. En d'autres termes, nous ne devons pas dévaloriser les conversations linguistiques dans une masterclass (par exemple, « commençons par le temps fort », « il est trop fort »). Lorsque l'élève ne parvient pas à trouver le son que l'enseignant vise, alors, au lieu de dire, « c’est trop fort », l’enseignant utilise une autre expression métaphorique : « ce n’est pas une déclaration de guerre ». Cet usage métaphorique de la langue peut être considérée comme une phase intermédiaire dans le processus de [pré-réfléchie ⇾réfléchissante]. Lorsque cette stratégie échoue, l'enseignant montre alors le son à son élève, directement sur le piano.

Ainsi, quel est le rôle de cette présentation simple (Gegenwärtigung), de simplement montrer (Abbildung) ? Elle justifie son importance non seulement quand la stratégie réfléchissante est insuffisante, mais aussi quand une représentation linguistique d'un son musical est inefficace. Par exemple, la notion musicale de l'impulsion démontre une temporalité subjective. Contrairement au rythme (dans son sens strictement métrique) qui est marqué sur la partition comme un mètre objectif-externe de distance temporelle, l’impulsion est semble-t-il subjective-interne (cf. Petitmengin et al., 2009) selon chaque personne et à chaque instant, de même que le cœur bat différemment dans chaque personne et à chaque instant. Le pouls est donc nécessairement vague. Autres notions musicales telles que la dynamique (pianissimo, crescendo, etc.) et l’articulation (staccato, fermata, etc.) sont également vagues : leur signification diffère non seulement d'un compositeur à l'autre, mais aussi de chaque morceau de musique et de chaque scène d’une œuvre musicale. Compte tenu de l'imprécision de ces notions, il est donc souvent plus efficace de les montrer directement sur le piano que de les décrire en mots.

Pourtant, l'insuffisance et l'inefficacité ne doivent pas être confondues avec l'impossibilité d'une stratégie réfléchissante. Dans certains objectifs pédagogiques, une stratégie réfléchissante est mise en oeuvre. Par exemple, lorsque l'enseignant souhaite améliorer la capacité réfléchissante de son élève, ce premier guide ce dernier seulement par des mots jusqu’à ce qu’ils arrivent à une entente (par exemple, « c’est trop rapide », « ce n’est pas suffisamment dynamique », « un peu plus », « plus », …).

Tout cela nous porte à croire qu’une masterclass de piano est une expérience musicale où les trois modes de cognition s’entremêlent : [pré-réfléchissant ⇾métaphorique/synesthésique ⇾réfléchissant]. De plus, nous croyons que toutes les expériences fonctionnent sur la base de ce dynamisme. 

À partir de cette ligne d’observations, nous allons proposer un modèle sémiotique et phénoménologique pour comprendre « l'expérience vécue » (Straus 2000:31) dans le domaine de la perception auditive. Ce modèle sera une médiation synéchistique de l'expérience musicale vécue et empruntera des outils théoriques de la phénoménologie, des écoles microgénétiques (Rosenthal, 2004) et de la sémiotique : l'expérience vécue, le développement microgénétique et le synéchisme.

3.

Un de nos objectifs principaux est d'ajouter plus de profondeur à la conception traditionnelle de motif, une courte formule mélodique ou rythmique à partir de laquelle peut se développer de plus longs passages dans divers contextes musicaux. À cet égard, deux études récentes sont particulièrement enrichissantes : 1º les recherches sur Wittgenstein de A. Soulez dans lesquelles il est dit que Wittgenstein est « intéressé non seulement par la musique, mais aussi par le son [en général] » (Soulez 2012:18), 2° l’ « école microgénétique » (Visetti 2004) qui considère que les formes linguistiques se développent tout au long des phases dynamiques entre de la stabilité et de l'instabilité concurrentes : les « motifs » linguistiques sont ainsi perçus, avant de pouvoir être logiquement organisés. Autrement dit, ils sont des formations sémantiques figuratives (ce qui est caractéristique des phases instables), et potentiellement présentes sous diverses formes textuelles. Dans cette perspective microgénétique, la distinction entre le sens, la forme, la perception et l'action devient peu importante—la violence du logos ainsi réfutée.

Nous croyons que les formes linguistiques et musicales partagent ce processus de développement microgénétique (cf. Petitmengin et al., 2009). Nous avons déjà vu, dans notre discussion précédente autour de l’environnement d’une masterclasse en tant qu’expérience musicale vécue, comment une nouvelle compréhension de motifs sonores (cp. notion musicologique du motif) est rendue possible. Par exemple, s'il n'y a pas de motif dans un morceau de musique, alors ce dernier peut être interprété comme si « presque tout est permis » (Kivy 2012:194). Les étudiants du conservatoire évitent toutefois  d’écouter les mauvaises interprétations de musique. De même, dans une masterclass de piano, l’enseignant et l'élève développent leur symbolisation autour des motifs d'un morceau musical qui est en question.

Le statut épistémologique de ces motifs est hypothétique puisqu'ils sont dans un phase de germe (Visetti 2004:249) au cours du développement microgénétique. Ce statut hypothétique ressemble à l'idée de la Priméité peircienne en termes de la conscience, à savoir la primisense pré-réfléchissant (CP 7.551). Sur la base de cette interconnexion, nous voyons que les perspectives théoriques mentionnées jusqu'ici peuvent faire la lumière sur l'aspect phénoménologique de la sémiotique peircienne, cette dernière qui est souvent considérée purement logique ou métaphysique. 

4.

Notre cadre de médiation synechistique de l'expérience musicale vécue emprunte son terme, « synéchistique », à partir de la terminologie peircienne : « le mot synéchisme est la forme anglaise du grec, συνεχισμός, qui vient de συνεχής, continuel. [...] J'ai proposé d’interpréter le mot synéchisme comme une tendance de considérer toutes les choses comme continuelle » (CP 7.565). Sur cette ligne de pensée, une médiation synéchistique signifie un processus continuel de commutation de mode microgénétique dans la cognition, qui rapproche la compréhension peircienne de conscience et celle de la phénoménologie. 

À cet égard, le concept merleau-pontien du corps propre (Merleau-Ponty 1945:179) devient important. Contrairement au corps cartésien, res extensa, le corps propre est un corps phénoménologique qui sert  en tant que « topologie première qui est le site du savoir avant le savoir » (Hyppolite 1961: 236). Nous croyons qu'il est impossible de saisir l'aspect dynamique des formes symboliques sans comprendre le corps dans son état « pré-objectif » (Merleau-Ponty 1945: 112). C'est à partir de cette notion de corps phénoménal qu’émerge la notion de l'expérience vécue. 

La synergie dynamique qui existe entre les formes linguistiques et musicales dans un environnement d’une masterclasse de piano prouve la limitation de la sémiotique physico-mathématique. Nous allons donc mettre l'accent à la fois sur le caractère dynamique interne et externe de la langue et de la musique. Par le dynamisme interne, nous nous référons à la commutation intrinsèque des modes danschacune des formes symboliques, et par le dynamisme externe, nous nous référons au processus trans-modal entre les différentes formes et les effets de la synergie. Ce qui importe est que nous allons commencer à partir de l'ensemble pour arriver aux parties. Autrement dit, la question qui va se poser ici est de savoir comment la masterclass de piano peut être interprétée en tant qu’expérience holistique musicale, à travers laquelle seules les deux parties formelles différentes—la langue et la musique—peuvent ensuite apparaître. 

En conclusion, nous espérons que notre modèle dynamique de l'expérience musicale vécue pourra, à la fois, expliquer positivement comment la langue et la musique peuvent être transposées, et démontrer négativement les zones insuffisamment transposées—sans parler de son rôle dans l’interprétation de Peirce en tant que phénoménologue. 

 

Formations universitaires

Jan. 2015

♦ Inscription en thèse de doctorat à l'EHESS (formation doctorale Arts et Langages)

2012-2014

♦ Master de recherche en Linguistique à l’Université Paris IV Sorbonne. Mention TB. Titre du mémoire du Master: « Le lac des signes : langage-signe et sémiotique peircienne ». Soutenu en juin 2014. Titre du mémoire de la Maîtrise : « La priméité de Peirce
dans le fredonnement de Glenn Gould » Soutenu en juin 2013. Sous la direction de Mathilde Vallespir.

2005-2012

♦ Double Licence en Linguistique et Philosophie à l’Université de Corée (Séoul).
 

Publication

2014

♦ “C. S. Peirce on First, Feeling, and Consciousness”, monographe in Episteme, 10. pp. 225-244.

 

Bourses et financements

 

2015-2018

AFR PhD, Fonds National de la Recherche Luxembourg

2012-2014

Bourse d’excellence Blaise Pascal
Bourse du gouvernement français (BGF)
 

EHESS
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