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Axes de Michel de Fornel

Linguistique interactionnelle et anthropologie linguistique/
Sociolinguistique variationniste

Recherches, I


Linguistique interactionnelle et anthropologie linguistique

Problématique

La linguistique interactionnelle que nous développons étudie les énoncés en tant qu’ils s’inscrivent dans le discours en contexte interactionnel et dans la séquentialité de l’échange conversationnel. Elle tient compte du fait que les locuteurs utilisent la position séquentielle des énoncés – la position de leur énoncé tant par rapport à ce qui précède qu’à ce qui va suivre – pour configurer leurs énoncés, en particulier sous le rapport de l’implicite et de l’explicite et qu’ils disposent de nombreuses ressources pour contextualiser leurs énoncés (marques prosodiques, syntaxiques, etc.). Nous avons engagé une réflexion théorique et méthodologique sur la possibilité de reprendre les acquis empiriques de l’analyse conversationnelle dans le cadre d’une conception ethnographiquement située de la cognition (Fornel et Quéré, 2001 ; Fornel, Quéré et Ogien, 2001).

Sur le plan international, nous participons à la structuration européenne du domaine de la linguistique interactionnelle. Notre approche s’inscrit aussi dans le cadre de l’anthropologie linguistique, qui constitue un domaine qui connaît un véritable renouveau, particulièrement aux États-Unis, grâce à la jonction théorique et empirique du courant d'ethnographie des langues vernaculaires et du paradigme interactionniste et conversationnel. Le PRI Anthropologie et linguistique de l’EHESS que nous coordonnons avec Francis Zimmermann a permis de développer un milieu de recherches et d’initiatives dans ce domaine.

 

Thèmes de recherche

1) Intonation et organisation séquentielle de la conversation.

Il s’agit de promouvoir l’étude de la relation intonation/actions conversationnelles. Dans le prolongement de l’analyse des tons finaux en français développée dans Beyssade et al. (2003), Fornel et al. (2005), Marandin et al. (2006), on examine dans quelle mesure il est possible d’élaborer une classification qui ne croise pas seulement ton final, type syntaxique et valeur illocutoire de l’énoncé, mais qui tienne compte de la position dans le tour et de la nature de l’activité conversationnelle en cours. On s’intéresse en particulier au domaine des questions-échos et plus généralement des répétitions dans la conversation (pour une première étude, cf. Fornel & Léon, 1998).

L’objectif principal est de tenter d’identifier les propriétés du contexte qui permettraient de réaliser une modélisation de la conversation de façon complémentaire aux travaux de Ginzburg sur la modélisation du dialogue réalisée sur la base d’une sémantique illocutoire. La collaboration avec un groupe de travail hebdomadaire a permis une première analyse du sens des contours intonatifs. Il apparaît que ces derniers ne sont pas directement de nature illocutoire mais renvoient à ce que pense le locuteur de ses croyances ou de celles de son interlocuteur (Beyssade et al., Marandin et al.). Cette recherche, qui met l’accent sur la dimension dialogique des énoncés, constitue la base de l’inventaire typologique de nature conversationnnelle que l’on envisage de réaliser.

 

2) Temporalités et implicites culturels dans l’interaction.

Ce programme de recherche porte sur le rythme et les temporalités dans la communication électronique à travers des interactions médiatisées par internet. Il s’agit d’observer et d’étudier les pratiques linguistiques et sociales émergentes dans plusieurs communautés virtuelles diverses (chat, échanges visiophoniques, environnements graphiques, jeux en réseaux, forums dans le cadre de l’éducation à distance…) et au sein de diverses communautés (interactions verbales en anglais, arabe marocain, banmana, berbère, français, italien, japonais, malgache, suédois, wayuunaiki…), qui sont modelées aussi bien par les contraintes temporelles que par les implicites socioculturels et sociocognitifs de chacun des internautes. Cette recherche (voir les premiers résultats dans H. Bays, M. de Fornel et M. Verdier, 2007) a aussi pour but d’apporter une contribution aux discussions sur la cognition ethnographiquement située qui sont menées en anthropologie linguistique et en sciences cognitives.

 

3) Cadres de participation dans les interactions institutionnelles.

L’objectif de cette recherche est d’élaborer une théorie des types d’activité socio-cognitive que l’on définit comme l’ensemble des structures cognitives, verbales et actionnelles, qui émergent quand un certain nombre d’individus interagissent de façon focalisée.

Dans le cadre du projet de recherche Étude sociolinguistique des échanges cliniques dans les consultations de la douleur d’enfants multi-handicapés et non communicants, qui a bénéficié du soutien financier de la Fondation de France, on réalise actuellement une étude conversationnelle des échanges qui ont lieu entre les professionnels de santé, les enfants souffrants, multi-handicapés et non parlants et leurs proches, au cours d’une période de deux ans. Le service d’accueil de la Fondation Paul Parquet à Neuilly-sur-Seine, constitue en effet un des centres d’hébergement et de soutien d’une population enfantine atteinte de pathologies lourdes d’origine neurologique, infectieuse, génétique ou tumorale, qui limitent la communication et qui, le plus souvent, font l’objet d’une offre de soins palliatifs. La survenue de douleurs (essentiellement neuropathiques) et les symptômes qui les accompagnent nécessitent de la part des thérapeutes et des interlocuteurs de l’enfant beaucoup de vigilance et la mise en place de procédures spécifiques dans l’élaboration d’un diagnostic. Tenter de soulager des enfants murés dans le silence et dans l’incapacité de transmettre leur souffrance par des moyens conventionnels est un enjeu central. Il s’avère donc nécessaire de se demander s’il n’existerait pas d’autres formes d’accès à la compréhension de la relation interactionnelle entre ces enfants et les soignants, et entre ces enfants et leur entourage et si, en particulier, cette dernière ne se configure pas autour d’indices non verbaux qui n’apparaissent comme tels que si on les rapporte au contexte de l’interaction.

 

4) L’hypothèse Sapir-Whorf revisitée

On a montré (Fornel, 2002) que le programme de recherche de Whorf n’avait pas pour but de défendre l’hypothèse selon laquelle la grammaire d’une langue engendrerait un système conceptuel particulier ou une vision du monde singulière. Gestaltiste conséquent, il considère que le langage s’ancre dans l’universalité cognitive des phénomènes perceptifs et veut en fait développer une sémantique cognitive des langues amérindiennes. L’orientation gestaltiste radicale de cette thématique est restée quasiment inconnue. Le retournement de la vision traditionnelle des universaux sémantiques a permis à Whorf de remettre en cause la définition sémantique naïve des classes grammaticales (un nom réfère à un objet, un adjectif à une qualité, etc.). Se refusant à adopter la définition formelle qui s’offrait comme seule alternative, car elle ignore le sens, il a proposé alors de rechercher des définitions notionnelles plus abstraites inspirées des propriétés du champ perceptif formulées par la théorie de la Gestalt.

La recherche actuelle (Désveaux & Fornel, 2006), qui se propose de revisiter l’hypothèse Sapir-Whorf, se situe dans le prolongement de ce programme. La recherche prendra comme point de départ la typologie des systèmes grammaticaux élaborée sur une base sémantique par Sapir. Cette typologie joue un rôle de premier plan dans la définition des macro-stocks de sa classification des langues amérindiennes, puisque chacun d’entre eux subsume un ensemble de caractéristiques grammaticales précises.

On a souvent relevé le caractère ambigu de la formulation de Sapir lorsque, dans un célèbre article sur la relation génétique entre le Subtiaba et le Hokan, il met en avant la nécessité d’étudier les traits « submergés ». Mais à quoi correspondent ces traits ? Est-ce aux formes anomales et aux catégories grammaticales non significatives qui servent de fait à la démonstration comparative, comme semblent l’indiquer la référence à l’inutilité des traits généraux des grammaires descriptives? On fait l’hypothèse que ces derniers renvoient plutôt au noyau grammatical des langues, à ce qu’il dénommait le «plan-ground» d’une langue et que seule une étude sémantique des structures grammaticales articulée à une hypothèse transformationnelle permet de saisir.

 

5) Anthropologie linguistique de l’improvisation orale

L’objectif est de mieux articuler les recherches en anthropologie linguistique et le courant de la linguistique interactionnelle à partir de l’étude de diverses formes d’improvisations orales, en particulier les joutes poétiques dans plusieurs communautés (voir M. de Fornel et G. Tiezzi, 2007). La question du «parler-chanter» est prise en charge par un groupe de travail (Michel de Fornel, Julien Gavelle, Mustapha Mardi, Grazia Tiezzi, Karine Paris) ainsi que par un réseau de réflexion animé par Michel de Fornel, Grazia Tiezzi et Karine Paris et réunissant ethnologues, linguistes et ethnomusicologues, sous l’égide du PRI Anthropologie et linguistique. La recherche envisagée inaugure un nouveau volet et prend la suite d’études spécifiques qui ont porté sur plusieurs types d’échanges langagiers (interactions médicales, transactions commerciales et interactions familiales) dans une communauté amérindienne. L’objectif était de mieux comprendre la diversité des registres verbaux des membres de la communauté wayuunaiki en Colombie et au Vénézuéla. Cette recherche a donné lieu à la mise en place d’un groupe de recherche sur la langue et la communauté wayuunaiki. Une publication d’ensemble est en préparation.

 

 

Recherches, II :
 Sociolinguistique variationniste

Problématique

Il a paru important d’engager un travail de réflexion sur les recherches en sociolinguistique variationniste que l’on a réalisées les années précédentes et de définir un programme de recherche permettant de lancer une nouvelle enquête en utilisant une précédente enquête comme point de comparaison. Cette comparaison s’inscrit dans le cadre d’une collaboration étroite avec le CORAL – UPRES –-EA 3750) autour du projet ESCOL2. En effet, ce Centre développe actuellement une démarche similaire avec un projet d’enquête sociolinguistique à Orléans, qui utilisera comme terme de comparaison l'Enquête Socio-Linguistique à Orléans (ESLO) recueillie à la fin des années 60.

 

Thèmes de recherches

1) Définir la démarche sociolinguistique

Cette recherche vise à intégrer l’hétérogénéité grammaticale (y compris dans les usages passifs de la langue) au cœur du dispositif linguistique et de mettre au jour ses prolongements potentiels dans le domaine des politiques linguistiques. Il s’agit de revenir sur les enjeux empiriques et théoriques du volet «sociopragmatique» de la sociolinguistique variationniste dont «l’ acte de lancement» fut en 1983 la rédaction du texte «Le sens en pratique: construction de la référence et structure sociale de l'interaction dans le couple Question-Réponse». Une nouvelle version considérablement étoffée paraîtra prochainement sous la forme d’un ouvrage. Dans cet article, nous avions étudié la construction de la référence dans un fragment de discours enregistré — une série d’interviews constituées de couples question-réponse — et fait la démonstration empirique, à propos d’un exemple précis, que la signification est inséparable de la référence et de l’usage social des mots dans le discours.

Deux exemples de référence descriptive et ostensive ont été analysés, respectivement l’emploi du mot théâtre et des déictiques je/nous–on. L’examen des stratégies linguistiques en particulier métapragmatiques, dans leurs liens aux différents habitus, et de la circulation de la parole entre les participants a confirmé l’importance d’une saisie du sens comme sens en pratique, redevable d’une pragmatique sociolinguistique. Le cadre sociologique mobilisé dans cette étude doit beaucoup à la sociologie de Pierre Bourdieu mais innove aussi sur des points précis — élaboration de portraits sociologiques à partir des données interactionnelles, statut différentiel de la violence symbolique des entretiens. On montre aussi le rapprochement de notre préoccupation en matière de variabilité des trajectoires sociales avec des travaux sociologiques récents, comme ceux de Bernard Lahire et on développe l’hypothèse nouvelle d’un «principe de justification» en montrant ce qu’il doit à la Condition de félicité d’Erving Goffman et ce qu’il apporte à une théorie conversationnelle sociologiquement fondée.

Enfin, la grande enquête sociolinguistique que nous avons menée au début des années quatre-vingts dans la ZUP de Lormont près de Bordeaux (Fornel, 1983) mérite d’être confrontée aux résultats de certains travaux récents sur la phonologie du schwa en français et plus généralement sur la variation phonologique (Durand et al, 2003). Cette confrontation fait apparaître les limites épistémologiques et théoriques auxquelles se heurtent ces études en négligeant la dimension sociale des phénomènes linguistiques, non seulement dans l’usage de la langue mais bien dans son intériorisation grammaticalisée par les locuteurs - auditeurs.

 

2) Nouvelle enquête sociolinguistique en 2007-2009

Entre 1980 et 1981, nous avons mené une grande enquête sociolinguistique sur le français parlé à Lormont, communauté urbaine située au nord-est de l’agglomération de Bordeaux. L’objectif (Fornel, 1983) était de constituer un corpus attesté et sociologiquement construit afin de vérifier si certaines variables du français parlé étaient des variables sociolinguistiques, des lieux où s’inscrit l’hétérogénéité linguistique. L’une des variables analysées concernait l’élision ou le maintien du schwa en fin de polysyllabe, phénomène particulièrement pertinent dans le parler méridional, d’où l’intérêt de recueillir un ensemble de données provenant d’une communauté appartenant au français méridional et située dans la région de Bordeaux.

Afin de pouvoir proposer de véritables analyses sociolinguistiques aux faits de variations avérés comme celui du e muet, il a fallu recueillir les données en menant une enquête préalable du contexte social et pragmatique des données et de la structure sociale de Lormont. Pour cela, une méthode statistique et ethnographique a été mise en place avec, d’un côté, la constitution d’un échantillon de locuteurs relativement représentatif de la structure socio-démographique de la communauté et, de l’autre, une recherche de la structure objective de l’espace social avec les représentations que se faisaient les agents sociaux de leur environnement social.

Une cinquantaine de personnes, toutes natives de l’agglomération bordelaise, ont été retenues pour l’analyse sociolinguistique. Les regroupements des variables sociologiques ont principalement été faits sur le modèle d’analyse sociologique de Bourdieu dans La Distinction avec comme variable principale de l’échantillon, la profession et comme variables secondaires, le sexe, l’âge, les revenus et le diplôme. L’analyse des données empiriques ainsi recueillies a permis de déterminer précisément le statut des facteurs linguistiques et extra-linguistiques conditionnant la chute ou le maintien de l’e muet, à savoir par exemple si l’e muet était un marqueur social, remettant ainsi en cause les analyses phonologiques classiques de cette variation.

En 2007-2009, nous réalisons une nouvelle enquête sociolinguistique (VARILING, traitement des variations linguistiques dans les corpus, financement ANR). Recueillir des données en reprenant en partie le même échantillon de population et le même format d’interview que ceux de l’enquête de 1980 permettrait de mener une véritable enquête longitudinale, ce qui n’a jamais été fait dans l’histoire de l’étude du français parlé. Les avancées scientifiques d’une telle enquête sont potentiellement considérables : elle permettrait de mieux comprendre les processus d’évolution des variables étudiées et, par là-même, certains aspects du fonctionnement du langage comme les conditions d’émergence de patterns grammaticaux, pragmatiques, et phonologiques avérés. Cependant, il apparaît que pour mener une telle analyse, reproduire l’enquête de Lormont à l’identique n’est pas suffisant. De plus, les avancées scientifiques récentes des sciences du langage nous permettent de postuler d’autres variables que les variables phonologiques sur lesquelles se sont centrées les études sociolinguistiques des années 70 jusqu’à présent avec, en particulier, les enquêtes sur l’anglais aux Etats-Unis de William Labov. Déjà, en 1980 et 1981, le corpus de Lormont avait permis de commencer à étudier des variables sémantico-pragmatiques avec une étude de la variation des pronoms personnels. Nous envisageons d’élargir les variables observées grâce à de nouvelles modalités d’enquêtes centrées sur l’acquisition de données interactionnelles.

Les nouvelles variables envisagées concernent des aspects interactionnels et conversationnels des actions langagières des locuteurs étudiés. On essaiera, entre autres, de repérer si certains phénomènes conversationnels comme l’autocorrection ou les pré-séquences peuvent être liés à la variation sociale, de repérer si les écarts entre les styles formels et familiers des locuteurs peuvent être de nature sociale, générationnelle ou autre. C’est grâce à la constitution d’un nouveau corpus que l’on pourra répondre à ces questions. Parmi les nouvelles modalités d’enquête, on pense suivre l’ensemble des membres d’une famille de la ZUP de Lormont dans leurs interactions ordinaires afin d’introduire des variables sociologiques d’ordre générationnel et pas seulement situationnel – s’intégrer dans les activités d’une association ou d’une école pour introduire des variables sociologiques au sein d’une même activité. De telles modalités d’enquête présentent le double avantage de faire émerger de nouvelles variables de type conversationnel et interactionnel et d’observer ces variables avérées selon les situations et les réseaux dans lesquels sont impliqués les locuteurs. Ces nouvelles modalités d’enquête permettraient de promouvoir de nouveaux objectifs sociolinguistiques, en particulier de passer du phonologique au conversationnel.

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